7 août 2012: transfuges politiques

Est-ce que les députés qui changent de parti ont davantage de chance d'être réélus? La question est pertinente pour cette élection puisque la CAQ compte trois anciens députés du PQ. Tous sont actuellement projetés perdants. Mais le modèle n'inclut pas d'effet spécifique à ces transfuges. Regardons donc de plus près cette situation. Considérez ce billet comme une extension plus technique de mon article sur le JdM.

Nous n'avons malheureusement (ou heureusement diront certains) pas un nombre très élevé de cas au cours des dernières années. Au Québec, deux députés ADQ avaient fait le saut chez le PLQ en 2008 avant les élections. Il s'agissait d'André Riedl (dans Iberville) et Pierre-Michel Auger (dans Champlain). Première constatation, ces deux ont perdu en 2008 alors que le PLQ regagnait sa majorité... Mais simplement regarder le sort des transfuges politiques ne nous donne pas une estimation de leurs effets. En particulier, la question est vraiment de savoir si les transfuges conservent une partie de leurs votes. Un problème majeur est que les députés qui décident de changer le font possiblement car ils sentent que leur parti est en train de baisser. Ainsi, on peut observer que les transfuges ont tendance à être réélu, mais cela ne voudrait vraiment rien dire, si ce n'est possiblement un opportunisme réussi.

L'estimation faite pour obtenir les coefficients du modèle peut en fait nous aider à répondre à cette question. En effet, ces coefficients sont estimés en utilisant la variation par comté et au niveau provincial et en incluant des variables telles que la région ou le candidat sortant. Il est ainsi très facile d'inclure une variable spécialement pour ces transfuges. S'il y a un bonus (ou un effet négatif, c'est possible après tout) à changer de parti, cette variable nous le montrera. Et cela montrera vraiment les gains/pertes dues seulement au fait que c'étaient des transfuges.
Dans le cas des deux transfuges au Québec, s'ils avaient effectivement conservé leurs votes, le PLQ aurait dû augmenter davantage dans ces deux comtés (et l'ADQ aurait dû baisser davantage). Or, on n'observe pas cela du tout. Statistiquement parlant, ni le PLQ ni l'ADQ n'ont connu des variations différentes de celles attendues. En termes de pourcentages, le PLQ a bénéficié d'un très léger bonus de 0.4% alors que l'ADQ a perdu 4% de plus (mais encore une fois, ce n'est pas statistiquement significatif). Ainsi, perdre son député sortant peut faire mal mais présenter un transfuge ne semble pas améliorer les chances de réélection.

Regardons maintenant les transfuges au fédéral entre 2004 et 2008 (les années pour lesquelles j'ai les données sous la main). Encore une fois, nous n'avons pas beaucoup de cas. On trouve certes plusieurs cas de députés ayant quitté un parti (ou ayant été expulsés) et siégeant comme indépendants. Mais changer de parti reste rare. Les exemples les plus médiatiques étant naturellement ceux de Bélinda Stronach (passée au PLC après avoir tentée de remporter la chefferie du PCC!) et de David Emerson (passé au PCC juste après l'élection). Stronach est un des exemples de transfuges réussis, dans le sens où elle avait conservé son sièges sous ses nouvelles couleurs. Emerson avait préféré ne pas retenter sa chance, rendant son cas inutile pour notre analyse. L'autre exemple est celui de Wajid  Khan qui avait passé du PLC au PCC. Il avait cependant perdu son élection en 2008.

En utilisant le modèle, nous arrivons cette fois à la conclusion que Belinda Stronach avait en effet conservé ses votes (bonus de 11 points environ) et les avaient amenés avec elle au PLC. Mais pas d'effet pour Wajid Khan (en fait, un léger effet négatif!). Stronach n'était pas un simple transfuge, il s'agissait d'une grosse candidature. De plus, même lorsqu'elle était au PCC, elle était considérée comme une Red Tories. Ainsi, continuer de voter pour elle malgré son passage chez les Libéraux ne devait pas être trop difficile pour certains de ses électeurs.

Au final, il ne semble pas y avoir beaucoup d'évidences que les transfuges politiques bénéficient à leur nouveaux partis. Mise-à-part dans le cas de Stronach, les autres députés qui avaient changé de partis n'ont pas performé au-dessus de ce qu'on aurait pu attendre de n'importe quel candidat de leurs partis. Ainsi et pour revenir aux trois cas qui nous intéressent cette année, je ne vois aucune raison valable d'accorder un avantage particulier à ces candidat. Je dirais que François Rebello est probablement celui qui a le plus de visibilité médiatique et le plus probable de bénéficier d'un tel effet. À l'heure actuelle cependant, il traîne loin derrière le PQ dans Sanguinet. Il s'agît en plus d'un nouveau comté, ce qui signifie que bien des électeurs n'avaient de toutes manières pas voté pour lui lorsqu'il était au PQ en 2008. Je maintiens donc mes projections actuelles qui montrent que les trois transfuges se feraient tous battre. Bien sûr, cela pourrait changer si la CAQ devait grimper dans les sondages.