Présidentielle 2017: (presque) tout peut arriver

Mon boulot en tant "qu'analyste des sondages" est essentiellement de montrer les scénarios possibles en se basant sur l'information disponible. Plus précisément, j'essaie du mieux que je peux de montrer non seulement les scénarios possibles, mais les probabilités associées. Souvent, je trouve que les médias/journalistes ont tendance à tomber dans deux pièges. Le premier est de parler de la situation comme si les chances étaient de 100%. Un exemple typique de cela pouvait être observé durant la campagne présidentielle américaine en 2016 où mêmes des experts en sondages parlaient d'une victoire d'Hilary Clinton comme étant assurée (alors qu'il suffisait d'une erreur de 2 points dans 4-5 États pour changer cela). L'autre erreur que je vois souvent est de simplement dire, en gros, les sondages ne veulent rien dire et tout est possible.

Cela m'agace car bien que je reconnaisse les limites des sondages, ce n'est pas vrai que tout est possible. Et même si un résultat est techniquement possible, cela ne veut pas dire que tous les scénarios ont la même chance d'arriver. Oui vous pouvez gagner la lotterie, mais vos chances sont super faibles.

Si nous appliquons cela à l'élection présidentielle française, je crois qu'il s'agît de l'une des rares fois où "tout est possible" est possiblement plus approprié que mes calculs et nombres. Pourquoi? Car cette campagne a été assez folle avec plusieurs renversements de tendances et une incertitude majeure. Cela étant dit, regardons ce que mes calculs et simulations indiquent.

Ci-dessous vous avez mes plus récentes projections. Étant donné que l'élection est le 23 avril, elles sont de plus en plus proches d'être "finales". Je pense que nous aurons les derniers sondages vers mercredi ou jeudi de la semaine prochaine.

Probabilités d'être au second tour ainsi que les intervalles pour les résultats au 1er tour

Ainsi que la distribution des résultats possibles pour chaque candidat:



Essayons d'expliquer ces chiffres. Tout d'abord, le favori de cette élection reste Emmanuel Macron. Malgré une petite mais certaine chute aux cours des dernières semaines (de 25-26 à 23-24%), il reste dans le top 2. Surtout, il conserve une avance juste assez importante sur Fillon et Mélenchon. En effet, malgré quelques sondages plaçant les 3 candidats entre 20 et 22%, la moyenne reste telle que Macron détient une avance d'environ 3.5 points sur ses rivaux (excluant Le Pen). Étant donnée la fiabilité des sondages depuis 2002, cette avance ne garantit pas une présense au 2e tour mais les chances sont bonnes. Aussi, je voudrais faire remarquer que l'incertitude marche dans les deux sens. Oui Macron est possiblement à seulement 20%, mais il pourrait aussi être à 28%.

Marine Le Pen est en forte chute et il semble évident que certains de ses électeurs sont tentés par Mélenchon. Cela peut paraître étrange mais les "extrêmes" se rejoignent parfois. Dans le cas présent, on parle probablement d'électeurs désabusés du système et qui veulent voter pour quelque chose de différent. Le Pen et Mélenchon offrent tous les deux cela. La chef du Front National reste cependant favorite pour accéder au second tour car ses électeurs restent les plus définitifs. La tendance reste très mauvaise pour elle.

Avant de continuer, il faut mentionner que nous avons de bonnes raisons de penser que Le Pen pourrait être surestimée et Mélenchon sous-estimé. Cela pourrait se produire car les sondeurs français redressent leurs échantillons en fonction du vote à l'élection précédente. Concrêtement, si un échantillon a 10% d'électeurs déclarant avoir voté Le Pen en 2012 (alors qu'ils étaient en fait 17%), la maison de sondage fera des ajustements. Le problème est que cette méthode peut potentiellement sous-estimer un candidat en forte hausse. Le Pen (le père) sous-estimé en 2002 mais surestimé 5 ans plus tard. Sa fille sous-estimé en 2012. Comme le mentionnait Claire Durant sur twitter, il n'est pas illogique de parier sur une surestimation de Le Pen et une sous-estimation de Mélenchon cette année. Je n'en tiens cependant pas compte lors des mes simulations.

Mélenchon continue sa hausse même si elle s'est ralentie. Il dépasse Fillon dans certains sondages et atteint mêmes parfois les 20%. Il est rendu dans une position où son accession au second tour n'est de loin plus hypothétique. Remarquons cependant qu'en moyenne, il reste 4e (de très peu). Cela signifie qu'il lui faut dépasser deux candidats. Les raisons pour lesquelles ses chances sont inférieures à celle de Fillon sont car il est légèrement derrière (tel que mentionné) et car son vote est aussi moins définitif. Je crois cependant que mon modèle sous-estime probablement ses chances mais je ne vais pas le modifier juste en me basant sur mon intuition. Depuis1958.fr lui accorde 13.5% de chances tandis que les marchés lui donnent plutôt 20% de chances. Au final je crois que l'on devrait tous s'entendre sur le fait que Mélenchon est en forte hausse et a de sérieuses chances d'accéder au 2e tour. Il reste qu'il n'est pas actuellement favori pour cela.

Fillon continue sa très lente progression. Il semble maintenant approcher les 20%. Son vote semble sûr et concentré auprès d'un électorat qui va probablement voter le 23 avril. Soyons clairs, si Fillon n'avait pas eu ses problèmes avec ses supposés emplois fictifs, il serait probablement en tête des intentions de ce vote. Ainsi, il semble que nous assistions à un retour à la normale. Une autre façon de dire cela est que la "droite traditionnelle" revient au bercail. Je crois que Fillon est bien placé pour créer une surprise d'ici un peu plus d'une semaine. Remarquez que s'il était opposé à Macron au 2e tour, il n'aurait quasiment aucune chance. Ses espoirs de devenir président reposent sur un 2e tour contre Le Pen et donc une surestimation de Macron.

Finalement, Benoît Hamon continue sa baisse. La seule bonne nouvelle est qu'il est toujours à peu près assuré de rester au-dessus des 5%, un seuil important car cela signifie le remboursement de la moitié des dépenses électorales.

Au final, nous avons bel et bien une course à 4. Si les sondages n'ont pas de biais systématique, il reste deux favoris. Cependant, il suffit d'une simple erreur de ces sondages pour que le second tour entre Macron et Le Pen ne se réalise pas. Et si la tenance devait se maintenir cette semaine, attendez-vous à des projections finales la semaine prochaine où aucun candidat ne sera assuré de terminer dans les deux premiers et une incertitude encore plus importante que maintenant.

Ci-dessous vous avez les différents scénarios avec les probabilités associées.