La division du vote: risques et potentiels d'un candidat unique

Note: ce billet est très long et contient beaucoup d'information. Si vous ne voulez voir que les résultats, sautez directement à cette section ci-dessous.

La division du vote entre le PQ, QS et ON est un sujet souvent abordé. Ces trois formations sont en effet vues comme se partageant le même électorat (social-démocrate, souverainiste pour simplifier grandement). Le but de se message n'est pas de remettre en cause cela. En raison du mode de scrutin actuel, une telle division peut souvent mener à l'élection d'un candidat PLQ ou CAQ dans un comté pourtant majoritairement de gauche et souverainiste.

Une possible solution à ce problème pourrait être une collaboration entre ces partis. En particulier, ces trois formations pourraient présenter un candidat unique dans plusieurs circonscriptions. Ce retrait mutuel de candidat est bien plus flexible qu'une fusion ou coalition. Cette pratique est très fréquente par exemple en France où le scrutin majoritaire ne pardonne pas la division du vote.

Avant de continuer cette analyse, regardons la division du vote en 2012. Lors de cette élection, il y avait 23 comtés remportés par le PLQ ou la CAQ dans lesquels la somme des votes PQ, QS et ON dépassaient le total. 23 comtés où la division du vote a possiblement eu un impact. Cependant, ne vous détrompez pas, ce nombre représente un maximum absolu puisque il part du principe qu'un candidat unique n'aurait eu d'autre impact que d'additionner les votes de ces trois partis, sans perte ou autre conséquence. Il est faux de dire que si ces partis avaient présenté un candidat unique, cette "coalition" aurait remporté 80 sièges.

Le dernier sondage Léger posait la question concernant le possible report des votes en cas de candidat unique. La question bien sûr est de savoir si les électeurs PQ, QS et ON suivraient leurs partis respectifs. Cela n'est pas évident. On peut facilement imaginer certains électeurs ON préférer ne pas voter plutôt que de devoir appuyer le candidat Péquiste dans leur comté. Ou alors des électeurs Péquistes de droite qui ne voudraient pas d'un accord avec une formation plus à gauche telle que QS. Le tableau ci-dessous présente les résultats.

Intentions de votes originales
Report des voix
total
plq
pq
caq
qs
on
candidat unique
27%
2%
80%
11%
62%
75%
plq
27%
72%
4%
14%
2%
3%
caq
12%
2%
2%
60%
2%
12%
vert
6%
5%
0%
2%
10%
6%
ne sait pas
24%
16%
14%
13%
21%
4%
refus
4%
2%
0%
0%
2%
0%
Source: sondage Léger, 22 juin 2013

Quelques remarques concernant ces données:

1) De manière générale, les électeurs PQ, QS et ON semblent plutôt prêts à voter pour un tel candidat unique. Cela est particulièrement vrai pour les électeurs Péquistes. Peut-être partent-ils du principe que ce candidat unique serait celui du PQ. Ou peut-être ces électeurs sont maintenant conscients de cette division du vote et sont prêts à faire quelques sacrifices pour corriger cela.

2) Dans les faits, la grande perdante d'un tel candidat unique serait... la CAQ! En effet, la présence d'un tel candidat unique entraînerait une défection marquée des électeurs caquistes. En partie pour ce candidat unique, mais surtout pour le PLQ. Il semblerait que la perspective d'une majorité PQ-QS-ON inciterait beaucoup d'électeurs CAQ à se reporter sur la meilleure option pour empêcher cela: le PLQ. Il s'agît d'une belle illustration de l'autre division du vote: la droite non-souverainiste. Ainsi, une concentration du vote de gauche-souverainiste entraînerait une concentration de l'autre bord et malheureusement pour la CAQ, il semble que cela se ferait essentiellement au profit du PLQ.

3) Il y a un très grand nombre d'indécis. Plus de 20% des électeurs QS ne savent pas ce qu'ils feraient par exemple.

Le point 3 pose problème pour faire une analyse détaillées. En effet, dépendamment de si ces 21% décident finalement de se reporter sur le candidat unique ou, au contraire, décident de ne pas voter, cela change les résultats diamétralement. Dans le meilleur des cas, si ces indécis se répartissent proportionnellement de la même manières que les autres, cela permettrait au PQ-QS-ON de récupérer presque tous les comtés où il y a une division du vote. Mais dans le pire des cas, si ces indécis décident de ne pas voter (ou de reporter sur le PLQ par exemple), alors là les Libéraux pourraient carrément être des gagnants nets (grâce aux votes provenant de la CAQ).

Nous devons ainsi faire quelques hypothèses sur ces indécis afin d'estimer le potentiel (et risques) d'un tel accord entre les formations souverainistes. Et plus que jamais, introduire une dose d'incertitude via les simulations va s'avérer très utile.

Nous partons du principe que le meilleur scénario pour la "coalition" serait que les indécis se répartissent proportionnellement. En théorie, un scénario encore meilleure serait que tous les indécis se reportent sur le candidat unique, mais cela apparaît comme très improbable. Le pire scénario à l'inverse serait celui où tous ces indécis décident de ne pas voter. Là aussi, un scénario théoriquement pire serait d'avoir ces indécis se tourner vers le PLQ ou la CAQ. Mais là encore, cela semble trop invraisemblable pour mériter notre attention. Si vous préférez, je ne tiens pas compte des deux scénarios "extrêmes".

Aussi, certains chiffres du tableau n'ont pas vraiment de sens. Par exemple, comment expliquer que 5% des électeurs PLQ décideraient de voter Verts si le PQ-QS-ON s'entendaient sur un candidat unique? Je ne change pas cela, mais gardez en tête que ce tableau contient probablement des erreurs.

Nous modifions quelque peu la répartition des votes pour le PLQ. Spécifiquement, les indécis sont répartis automatiquement auprès du PLQ. Je ne fais pas cela dans le but d'introduire un biais pro-PLQ, mais bien car je considère que la vraie incertitude d'une telle alliance électorale repose sur le report des votes des partis de cette alliance. Je ne procède pas de même pour la CAQ cependant car le tableau montre clairement que les électeurs CAQ pourraient être tentés de se reporter soit sur le PLQ (encore une fois, pour éviter une division du vote à droite) ou sur ce candidat unique (possiblement, les chances de victoires de cette coalition étant plus élevées avec un candidat unique, certains électeurs changeraient de bord. Il n'est pas rare d'avoir des électeurs considérer de voter pour un autre parti si ce dernier a une chance de gagner).

Les comtés où un tel candidat unique serait présenté sont déterminés à l'avance. En cas d'élections, les partis devraient s'entendre sur ces comtés possiblement au tout début de la campagne. Pour ces simulations, un candidat unique est présent dans les 15 comtés où le modèle (celui du simulateur) projette une telle division du vote. Il faut bien se rendre compte que les comtés où une telle division du vote est présente ne sont pas les mêmes dépendamment de si le PQ est à 27% ou à 34%. Mais encore une fois, cette incertitude existerait en cas d'élections. Je reviens sur ce sujet dans ma conclusion.

Je fais 5000 simulations durant lesquelles je tiens compte de l'incertitude liée aux intentions de votes (i.e: les marges d'erreurs et les possibles erreurs des sondages, ou plus précisément de ce sondage), du mode de scrutin (même en ayant les vrais pourcentages provinciaux, il n'est pas possible de projeter chaque parti correctement dans chaque comté), ainsi que du report des votes pour PQ-QS-ON (spécifiquement, les simulations alternent entre le meilleur et le pire scénario mentionnés ci-dessus, incluant les scénarios entre ces deux . Ainsi, le candidat unique reçoit parfois 95% du vote PQ, mais parfois seulement 80% par exemple). L'idée est vraiment de mesurer dans quelle mesure un tel candidat unique serait capable d'augmenter les chances de victoires pour ces trois partis.

Résultats.

- Le PLQ voit ses chances de remporter le scrutin (i.e: remporter le plus de sièges) passer de 97% à 77%! Dans le même temps, le PQ-QS-ON passerait de 3% à 23% (en partant du principe que le PQ, QS et ON formeraient une coalition après l'élection). Cela peut sembler décourageant pour les partisans de ces formations de voir que le PLQ resterait le favoris, mais dans les faits les changements sont remarquables. En effet, avec un candidat unique dans seulement 15 comtés, le PLQ n'aurait que 77% de chances de gagner l'élection malgré une avance de 11 points dans les sondages! J'ai refait le même exercice mais avec le PLQ devançant le PQ par seulement 5 points. Dans ce cas, les chances du PLQ passeraient de 62% à 50%.

- En moyenne, ce candidat unique permettrait aux trois partis de récupérer 9 des 15 circonscriptions où la division du vote opère. "Seulement" 9 sur 15 car le report des votes n'est pas parfait. Pour indication, sans le candidat unique, le PQ ne gagnerait que 4 comtés sur 15 en moyenne.

- Grâce à ces 9 victoires, la moyenne des sièges allant au PQ+QS+ON passe de 49 à 53. En même temps, le PLQ passe de 68 à 64 et la CAQ de 9 à 7. (Cela ne somme pas parfaitement à 125 car il s'agît d'arrondis).

- Vous pouvez voir les projections avec un candidat unique ici. La catégorie "unique" en jaune représente le meilleur résultats du PQ, QS ou ON dans les comtés "sans" division du vote. Pour les 15 comtés où une redistribution a eu lieu, le résultat présenté est ainsi pour le potentiel candidat unique.

- Davantage qu'en termes de sièges, il vaut parfois mieux regarder les conséquences en termes de probabilités. Par exemple, prenez mon exemple favoris de division du vote: Laurier-Dorion. Avec le candidat unique, la "coalition" a 68% de chances de gagner cette circonscription. Sans candidat unique? Moins de 1%! À noter que dans ce comté, le candidat unique devrait probablement provenir de QS car cette formation est (actuellement) en meilleure posture pour remporter la victoire.
Regardez le pdf ci-dessus et comparez les probabilités dans les comtés où il y aurait un candidat unique (ils sont marqués en gris). Les différences sont importantes. Note: je ne montre les probabilités dans le cas ou le PQ, QS et ON ne feraient pas une telle alliance uniquement pour les comtés où il y a des différences, c'est-à-dire les 15 comtés mentionnés.

Conclusion.

Pour la première fois (du moins à ma connaissance), nous avons des données nous indiquant que les électeurs PQ, QS et ON seraient, dans une large mesure, prêts à voter pour un candidat unique à ces trois formations. Cependant, une importante incertitude existe. Une part non-négligeable des répondants ne savent pas ce qu'ils feraient.

Au-delà de cette incertitude, une telle alliance ne donnerait pas automatiquement le pouvoir à cette "coalition". Néanmoins, une augmentation de 20-points des chances de remporter l'élection est majeure. Le fait que le PLQ ne serait pas sûr de remporter une élection malgré une avance de 11-points est significatif.

Si ces chiffres semblent favorables à une telle alliance, il ne faudrait pas oublier que l'application de cette alliance rencontrerait plusieurs obstacles. En particulier, il faudrait que les trois partis identifient quels comtés pourraient bénéficier d'un retrait mutuel de candidats en faveur de ce candidat unique. C'est plus rapidement dit que fait. La liste de ces comté est sujette à d'importantes incertitudes, parmi lesquelles (et non la moindre) les intentions de votes. La division du vote qui arrive lorsque le PQ est 1-points devant le PLQ n'est pas la même que lorsque ce parti est 11-points derrière. Sur les 15 comtés où il y a une possible division du vote en se basant sur le sondage Léger, seulement 5 étaient dans la même situation en 2012 par exemple. Le retrait de candidat se fait fréquemment en France, mais le mode de scrutin est à deux tours. Les alliances se forment après le premier tour, se qui élimine beaucoup d'incertitude.

Au final, en tant que projectionniste non-partisan, je suis d'avis que la meilleure solution à la division du vote est une réforme du mode de scrutin. Cependant, vu qu'une telle réforme ne semble pas être d'actualité, j'avoue ne pas comprendre pourquoi le PQ, QS et ON n'essaient pas de s'entendre quelque peu. Stratégiquement, cela serait la bonne chose à faire. Il s'agît d'un pari, mais pas d'un pari très risqué selon moi.