Les indécis et leur répartition

Cette élection n'est pas, du moins actuellement, la plus incertaine ou serrée qui soit. La CAQ a été en tête de tous les sondages et en raison de la concentration du vote Libéral chez les non-francophones, le parti de François Legault bénéficie d'une avance relativement confortable en termes de sièges. Pour preuve les projections d'hier (je mettrai à jour durant la journée dès que j'ai les nouveaux chiffres Mainstreet).

Cela étant dit, il reste qu'une certain portion de l'électorat est encore indécis. Alors que d'autres pourraient encore changer d'avis, surtout avec les débats qui approchent à grands pas. Regardons un peu ces indécis et comment les sondeurs les répartissent.

1. Indécis

Que ce soit Léger ou Mainstreet, la question posée aux répondants offre l'option "je ne sais pas". Les deux firmes relancent ensuite le répondant (Par exemple Léger demande aux indécis de la première question "Même si votre choix n'est pas encore fait, pour lequel des partis politiques auriez-vous le plus tendance à voter?"; Mainstreet est très similaire). Si les gens répondent encore "je ne sais pas" à la 2e question, ils sont présentés comme "indécis". Ainsi, quand Léger nous présente les résultats comme hier et nous montre que la CAQ est à 30% avant répartition des indécis, ceux-ci ont déjà été diminués. Le 7% qui est listé comme "je ne sais pas" a répondu cela à deux reprises. Ce sont les vrais de vrais indécis, pas les électeurs "enclin" ou "qui penchent vers un parti".

Mainstreet nous présente les trois résultats: après la première question, après la 2e (la relance) et finalement après répartition des indécis. C'est intéressant et c'est la seule firme à faire cela. J'y reviens ci-dessous.

Ok, alors que fait Léger avec ses 7% d'indécis après la 2e question? (note: 7% de je ne sais pas, 3% de je ne voterais pas, 3% j'annulerais mon vote et 3% qui refusent de répondre, donc un total de 16%!), ou Mainstreet avec ses 3.9% (les sondages IVR ont en général moins d'indécis que les sondages en ligne)? La réponse est qu'ils les répartissent "proportionnellement". Qu'est-ce que cela veut dire? Si la CAQ a 30% des électeurs décidés, elle aura 30% des indécis.

Dans les faits, cette méthode revient à simplement laisser tomber les observations. Donc si la CAQ est à 30% chez les décidés et qu'il y a 10% d'indécis, elle sera à 30/90=33.33% après répartition.

Cela a du sens, non? Oui et non. Cette méthode revient à faire l'hypothèse que les électeur indécis voteront ultimement comme les électeurs décidés et enclins. Mais c'est un peu bizarre, non? Logiquement ces électeurs sont différents... sinon ils ne seraient pas indécis! On peut facilement imaginer que les indécis pourraient simplement voter pour l'option "safe". Une autre hypothèse qui justifie le choix serait de dire que tous les indécis ne voteront pas. Mais là aussi, vous voyez qu'il s'agît d'une hypothèse qui apparaît comme irréaliste.

Personnellement je ne répartis pas les indécis proportionnellement. Je pars du principe que les petits partis n'auront pas d'indécis. Qui sont les petits? Tous sauf le PLQ, PQ et CAQ - oui QS est inclus chez les petits et je considère changer cela. Et je ne répartis pas proportionnellement, je donne un peu davantage d'indécis au gouvernement sortant (car mes analyses montrent que les gouvernements sortants sont quasiment systématiquement sous-estimés au Canada). Dans le cas de l'élection actuelle, j'accorde 40% des indécis au PLQ (sorte de prime à l'urne), 40% à la CAQ (le parti en tête) et 20% au PQ. Cela a pour effet d'aider le PLQ (environ 1 points) alors que la CAQ et le PQ restent essentiellement au même niveau. Ça baisse QS et les autres petits partis rapports aux chiffres après répartition des sondeurs.

Oui il s'agît d'une hypothèse. Mais comprenez bien que répartir proportionnellement est aussi une hypothèse! Et elle n'est basée sur rien, tandis que la mienne est basée sur l'observation empirique des sondages et résultats. Claire Durant recommande au Québec de donner 50% des discrets (indécis et refus) au PLQ et 25% chacun au PQ et CAQ. Je faisais presque cela en 2014 mais je trouve que c'est être trop dur envers la CAQ qui est à plus de 30% (bien que si ce parti continue de baisser, je vais réviser cette hypothèse car lui accorder 40% d'indécis comment à booster ce parti).

J'ai mentionné que Mainstreet présentait les résultats en 3 étapes. Après la 1re question, il y a 10.8% d'indécis. Après la question de relance, il ne reste que 3.9% de vrais indécis, le reste étant tenté ou penchant pour une option. Comment est-ce que ces 6.9% se répartissent? Selon le sondage d'hier, le PLQ en reçoit 1.9 pt, la CAQ 1.4, le PQ 1.3 et QS 1.2. Assez égal. Et les 3.9% restant sont alloués proportionnellement tel qu'expliqué ci-dessus. Vous voyez que les électeurs non-décidés mais enclins ne se répartissent pas proportionnellement. Alors pourquoi ce serait le cas pour les électeurs vraiment indécis?

Vous voyez, si Léger et Mainstreet semblent ne pas s'entendre sur la CAQ et QS, dans les faits ils ont tous les deux la CAQ à 29.5-30% avant répartition. La différence est que Léger ensuite attribue proportionnellement 16% d'indécis et refus alors que Mainstreet n'en a que 3.9%. Et cela fait en sorte que la CAQ chez Léger est 5 points supérieure à la CAQ chez Mainstreet.

Si les indécis peuvent expliquer les différences pour la CAQ, ce n'est pas le cas pour QS. Ce parti est à 15.8% avant répartition chez Mainstreet mais seulement 9% chez Léger. Une différence énorme!

Au final rappelez-vous deux choses: 1) les sondages ont des indécis et davantage que présentés en raison de la question de relance. 2) Répartir ces indécis requiert une hypothèse et la répartition proportionnelle n'est pas plus juste ou justifiée. Dans les faits je dirais qu'elle n'a pas beaucoup de sens.

2. Ceux qui peuvent changer d'idée.

Selon Léger, 58% ont fait un choix définitif alors que 38% peuvent changer d'avis. Les électeurs Libéraux sont les plus sûrs de leur choix (69%) alors que seulement 44% des Solidaires sont dans la même situation. Ce n'est pas surprenant, les petits partis ont tendance à avoir un vote plus mou (et ce qui justifie ma répartition non proportionnelle des indécis car cette méthode a tendance à surestimer les petits partis).

Selon Mainstreet, 25.4% des électeurs disent qu'ils peuvent probablement changer d'avis alors que 68.3% disent qu'il est peu ou très peu probable qu'ils changent d'avis. Là aussi les deux firmes ne s'entendent pas parfaitement mais cela montre qu'il y a beaucoup d'électeurs qui peuvent changer d'avis. Cela étant dit, je crois que ces mesures exagèrent toujours le vrai nombre d'électeurs qui vont changer d'avis. Je crois que certains répondants ont peurs d'avouer que leur choix est déjà fait.

Si j'utilise les probabilités de changer d'avis et que je calcule des scénarios "pires" et "meilleurs" pour les 4 partis (le pire scénario est celui où seulement les électeurs sûrs de leur choix votent pour vous, le meilleur est celui où les électeurs mous des autres partis viennent chez vous à la fin en tenant compte des deuxièmes choix), j'obtiens ceci:

En date du 12 septembre

Remarquez que QS a un meilleur scénario à seulement 16.2%, ce qui est en fait sous son score chez Mainstreet. Mais non seulement j'alloue moins d'indécis à QS que Mainstreet (ça fait une petite différence) mais je fais une moyenne avec le Léger (qui a QS à 11%). Si j'utilisais seulement le Mainstreet, l'intervalle pour QS irait de 9.2% à 19.7%. La CAQ quant à elle, en se basant sur Mainstreet seulement, aurait un meilleur scénario à 34.8%... ce qui est inférieur à son résultat chez Léger! Cela montre bien à quel point ces deux firmes ne s'entendent pas sur ces deux partis.

Ce tableau devrait être interprété comme les intervalles possibles simplement en fonction du fait que les électeurs peuvent changer d'avis (changements à court termes ici).

Comparer ce tableau à celui du début de campagne:


Vous voyez la hausse de QS et la légère baisse de la CAQ. Les scénarios "pires" ont presque tous augmenté car davantage d'électeurs sont certains de leur choix.

Voilà, j'espère que ce billet vous aura convaincu que les sondages ont possiblement davantage d'incertitude qu'on ne le croit. Cela étant dit, mes simulations tiennent compte de cela.